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JOSE MANUEL FAJARDO
Les démons à ma porte

"A mon réveil j'étais en enfer. Je ne crois pas qu'il existe un seul et même enfer pour tout le monde. Chacun a le sien propre et l'art du bourreau est de deviner quel est le vôtre."


JOSE MANUEL FAJARDO
Les imposteurs


PABLO FAJARDO. SOPHIE TARDY-JOUBERT. DAMIEN ROUDEAU
TEXACO. Et pourtant nous vaincrons
(Equateur)

Pendant vingt ans, la compagnie Texaco a exploité l’or noir en Amazonie équatorienne. En 1993, le pétrolier américain a quitté le pays en laissant derrière lui l’une des pires catastrophes écologiques et humaines au monde.
Emmenés par l’avocat Pablo Fajardo, 30 000 habitants se battent en justice depuis vingt-cinq ans pour obtenir réparation. Leur combat, réplique de David contre Goliath, est l’un des plus méconnus et des plus importants de notre époque.




FRANCOIS FAMPOU
La langue au chat

Moi j'ai peur de sortir.
J'en ai tellement peur
Que pendant mes voyages
Je porte ma maison
Accrochée sur le dos
Afin qu'elle me protège.

 

illustrations de Patrice Mazoué

WILLIAM FAULKNER
Tandis que j'agonise

Je lui avais dit de ne pas amener ce cheval, par respect pour sa défunte mère, parce que ça n'a pas bonne façon de le voir caracoler ainsi sur ce sacré cheval de cirque, alors qu'elle voulait que nous soyons tous avec elle dans la charrette, tous ceux de sa chair et de son sang ; mais, nous n'avions pas plus tôt dépassé le chemin de Tull que Darl s'est mis à rire. assis sur la banquette avec Cash, avec sa mère couchée sous ses pieds, dans son cercueil, il a eu l'effronterie de rire!

NICOLAS FARGUES
Au pays du p'tit

"Les gens ne s'écoutent pas. C'est comme ça, c'est normal, c'est humain. Nous marchions dans Moscou avec Mondoloni. Pour alimenter la conversation, je lui faisais noter les proportions nord-américaines des avenues, le raffinement des décorations de Noël dans les vitrines, les voitures maculées jusqu'à mi-portière de gadoue neigeuse, les jeans des femmes qu'elles rentraient avec discipline à l'intérieur de leurs bottes à talons aiguilles. Je tentais, par toutes sortes de détails, de lui communiquer l'émotion que la ville me procurait, et Mondoloni ne répondait à ma verve que par des hochements de tête expéditifs. C'est ainsi : Mondoloni n'avait, comme tout le monde, pas de temps à perdre à chercher à comprendre ce qu'un autre que lui-même ressentait vraiment."

PETER FARRIS
le présage

Traduction de l'américain de Anatole Pons-Reumaux

" Les Quarters étaient peu à peu devenus un ghetto tentaculaire, mal éclairé, sans route goudronnée, pour familles pauvres, coincé entre Mercy Oaks et la rivière. Les maisons étaient étroites et en enfilade, souvent surpeuplées, avec des matelas à même le sol, animées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les averses de printemps inondaient les routes et on reconnaissait celui qui venait des Quarters à ses empreintes de pas, des hélices d’argile rouge qui partaient vers les fermes de coton et les champs de tabac le matin et revenaient des juke-joints le soir. "


PETER FARRIS
Le diable en personne

"Au crépuscule, le coyote traversa le pré de fauche en s’arrêtant régulièrement pour flairer l’air. Alerté par le sifflement d’un train, il poussa un hurlement et entendit les aboiements et les glapissements du chef de la meute et du reste de la famille lui répondre depuis les bois à l’est, suivis par un chant collectif qui ondulait à la manière du son distordu d’une sirène. Le pré lui réussissait ces derniers temps."

RAYMOND FEDERMAN
coups de pompes

POÉZUT
J'écoutais de la poézie
une lecxure de poézie
poézie appitoyante
et assoupichiante
j'avais envie d'erculer
je me suis dit poézut
j'en ai marre je cale
et alors j'ai renculé
sur place m'appitoychiant
donc jercule et déjercule
et me voilà alors perculé
et forcé de reculer
sans pourtant bien déculer
que faire que faire
me déculotter ou bien
m'enculotter sur place
en culbutant dans le recul
erculant du cul dégoûté
je m'execulte ici dans
cet énorme emmerdement

JEAN FERON
La hulotte
n'apas de culotte

Les oies

Les hommes nous tiennent
pour bêtes
mais c'est nous qui les mettons
au pas.

Pendant qu'ils s'entretuent
nous on s'entretutoie.

Illustrations de Maud Legrand

JOAQUIN FERRER
Lionel Ray

"Y a-t-il rien d'aussi silencieux que ces aplats orangés et ces gris tendres si parfaitement unis, d'une lumière à ce point condensée et filtrée qu'on croirait entendre l'espace, une vibration d'outre-monde, les ondes du silence qui s'accumulent..."

FERREZ
manuel pratique de la haine

Traduction du portugais (Brésil) de Paula Anacaona

 Partout des bouteilles de bière, un grand nombre sont ouvertes, encore pleines et déjà tièdes, ouvertes sans raison, du gaspillage, des tables en plastique aux logos publicitaires, viande deuxième choix et saucisses sur le barbecue, discussions, voix pâteuses, des enfants qui courent, la musique de É o Tchan, un gâteau quasiment abandonné mis à part par les moustiques qui l’encerclent, des verres posés sur le muret, des corps qui se touchent dans l’obscurité, des bouches qui se rapprochent, des tessons de verre sur le muret voisin, un ciel noir, une fête sur laquelle tombe une légère rosée.


" São Paulo est la plus importante mégalopole d’Amérique latine, parmi les plus importantes du monde en nombre d’habitants.  Immigrants et migrants originaires de diverses régions du monde et du Brésil cohabitent dans un des plus grands chaos urbain de la planète, où la richesse et la misère se côtoient, se regardent, s’agressent, pour finir par se tuer. 
Le manuel pratique de la haine ne parle pas du lien entre la pauvreté, le trafic d’armes et la drogue, mais montre la manière de penser de ceux qui sont nés dans cet univers. Et São Paulo révèle sa gangrène à chaque page, à chaque mot de ce roman, où tous les personnages vivent et se tuent comme des pauvres malheureux dans cette nation à la répartition des richesses éternellement inégalitaire.

Ferréz a grandi dans la banlieue de São Paulo, décor de cette histoire qui pulse comme le rythme de la ville et de ses favelas.  Ses personnages sont des fils de travailleurs qui crèvent de faim, victimes de politiques publiques désastreuses alors que le Brésil est la sixième économie du monde et l’un des plus grands pays agricoles… Pourtant si la faim existe, ce n’est qu’à cause du racisme, d’une élite corrompue et conservatrice, et d’un État déliquescent. Dans ce roman, la haine envahit toute pensée, toute action, toute volonté. Il n’y a pas de héros, pas de méchants, seulement des perdants aux prises avec un jeu sans règle, sans limite et terriblement meurtrier.  Ferréz écrit avec la virtuosité des grands romanciers brésiliens. J’aime sa prose, rapide, précise, réaliste et profondément poétique." Paulo Lins

ROBERTO FERRUCCI
Venise est lagune

«Il fallait y ajouter une autre laideur, un autre poison, un autre danger, serait-il de passage. Mais un passage incessant. Un grand bateau rejette dans l’air en une journée une quantité de particules fines équivalant à celle de quatorze mille voitures. Un « écomonstre » en mouvement qui fond lentement sur le bacino di San Marco tandis qu’un peu plus loin le vieil homme de la lagune rembobine déjà en toute hâte le fil de sa canne à pêche. Depuis les quais, les gens l’observent avec admiration, car les géants frappent l’imagination, toujours. Ils font peur, mais c’est une peur qui fascine, qui séduit. Elle devient un pur fait esthétique. Un ooohhh collectif, que lancent à l’unisson les adultes et les enfants. À bord, tout en haut, perchées à des dizaines de mètres de la surface de la lagune, on distingue d’infimes ombres noires, vaguement anthropomorphes. Des figurines en chair et en os déposées là-haut par un dépliant multilingue qui t’offre – si tu viens en croisière – le spectacle d’une Venise à couper le souffle, vue de là, d’en haut. Et vue de l’eau. Des silhouettes noires qui font – de nouveau – coucou de leurs petites mains, des mains d’où jaillissent des microflèches blanches, flash après flash, autre promesse du dépliant, des pixels à envoyer immédiatement via courriel ou WhatsApp à tes parents et à tes amis. Partagés à l’instant même sur Facebook, sur Twitter, sur Instagram. Des corps sombres se dessinant, légers, sur cent mille tonnes d’acier qui parcourent les eaux frêles de la lagune, des millions de kilos qui font tressaillir les pierres de Venise, secouent les huisseries des habitations, font trembler leurs planchers et vaciller leurs fondations, mais laissent apparemment intacte l’eau autour d’eux."

ALAIN FERRY
Rhapsodie pour un librique défunt

Mais c'est un long métrage avec ma voix. Rhapsodie pour un librique défunt. Vues d'en bas. Parler encore. Voix de sous le verre. Lame de fond. C'est un comble. Éclairer l'inéclaircissable. On a tenté de vivre. S'efforcer de se voir partir. S'en aller d'une parole encore vivante. La mort : casse-tête. Mur épais à se taire? Non, murmurons, voire plus, au dernier lieu.

 MARCELO FIGUERAS
La Griffe du passé

Traduit de l'espagnol (Argentine) par François Gaudry


"Le climat d’euphorie provoqué par le retour de la démocratie était encore palpable, mais Van Upp percevait la ville comme un territoire ennemi. Santa Clara ressemblait trop à ses souvenirs fragmentaires. Mêmes décors. Climat de nervosité. Mêmes couleurs et mêmes vides. Odeur de friture et d’asphalte chaud. Vent salé du front de mer. Faune au teint blême grouillant sous terre dans les banques et les bureaux. Titres répétitifs des journaux. Caniveaux jonchés d’ordures. Il trouva bizarre que ses sens identifient Santa Clara avec autant de hâte. Il ne pouvait superposer la ville que son corps gardait en mémoire avec le récit de ce qui s’était passé pendant son absence. Si la moitié seulement de ce que l’on racontait était vraie, la ville aurait dû être différente, elle aurait dû changer de physionomie. Mais l’imitation de la vie antérieure était tellement parfaite jusque dans les détails que Van Upp se demanda si Santa Clara ne s’efforçait pas d’être Santa Clara, de la même façon qu’il voulait être Van Upp : par un acte de volonté."

MICHELE FINCK
Giacometti et les poètes: "Si tu veux voir, écoute"

"Dupin, Bonnefoy et du Bouchet jouaient virtuellement (par la seule transmutation de l’œil en organe de l’écoute) sur cet « instrument de musique » qu’est l’œuvre qu’ils envisageaient ; et par ce jeu mental, le son auquel ils accédaient n’était autre que celui de leur poétique personnelle : « sifflement » pour Celan, « souffle » pour du Bouchet, « silence » pour Dupin et Bonnefoy ".

 "On peut dégager une forme constante du “bruit rétinien” qui sourd des œuvres d’art qu’aime Celan et qui exigent de lui l’écriture d’un poème : ce “bruit rétinien” constant, indissociable des rapports de Celan à la sculpture et à la peinture, est le “sifflement” qui renvoie sans doute à une hantise profonde [...] cette obsession du “sifflement”, associée deux fois par Celan à une œuvre d’art de son musée imaginaire [Van Gogh et Giacometti] est [...] le miroir acoustique profond du poète ".


MICHELE FINCK
Connaissance par les larmes

"Larmes blanches -décapage  catharsis  exorcisme
Larmes noires -équarrir  désosser  calciner."

" Poésie : Être traversée.
Par quoi ? Peu importe
Rumeur. Couleur. Odeur. "

"Écrire c’est sauter 
Dans le vide
De la page.

Pour
Pas
Crever."

FREDERIC FIOLOF
La magie dans les villes

"Il aime bien les dimanches. Leur petit air de répit grignoté, de répit mal ajusté. Ils ont la mélancolie de tout ce qui n'en finit pas de finir. Ils ont quelque chose d'une vieille terrine un peu indigeste que se partageraient fraternellement morts et vivants. Le dimanche, il ne va pas à la messe, il ne fait pas non plus la grasse matinée. Il se lève et ne sort pas. Il veut profiter pleinement de cette croûte de temps, épaisse et friable. Il écoute les oiseaux qui ne chantent pas, la pluie qui tombe ou ne tombe pas. Il pense à de lointains cousins trépanés, qu'il n'a pas connus. Des cousins de cousins en noir et blanc dans les tranchées de la Marne. Il pense à l'eau noire du canal et à cet endroit où elle rejoint la Seine, presque pour rien, sans changer de couleur. Le dimanche, il lit entre les lignes et porte un âne mort dans son coeur. Autour de lui on s'agite souvent. On le contourne comme un vieux chêne. Le sens de la famille se perd dans les rayures de son pyjama. Il se dit que le dimanche mériterait d'être la veille de tous les autres jours. Bien sûr,   techniquement, ce serait compliqué. On ne bouscule pas si facilement les agendas, on ne refait pas des calendriers qui se perdent dans la nuit des temps. Il se dit que c'est dommage, et puis il oublie. Il retourne à son temps d'encre molle. Il aime le dimanche non pas comme un jour de repos mais comme on aime un puits. Un puits sombre et débonnaire."

 

F. SCOTT FITZGERALD

F. SCOTT FITZGERALD
Carnets

" C'était un visage pâle, spirituel même, respectueusement éclairé par de grands yeux bruns, mais les oreilles pointues et les commissures des lèvres étaient plissées et grotesques, et le sourire qu'il fit pour accueillir Joséphine disait clairement qu'ils étaient les trois personnages d'une effroyable plaisanterie et qu'il était content qu'elle le comprît dès le départ." Un de ces types dingues", pensa-t-elle."


F. SCOTT FITZGERALD
La fêlure

"Toute vie est bien entendu un processus de démolition."

"J'essaierai d'être un animal aussi correct que possible, et si vous me jetez un os avec assez de viande dessus je serai peut-être même capable de vous lécher la main."


F. SCOTT FITZGERALD
Gatsby Le Magnifique

"Il a dû s'étonner d'apercevoir, entre les feuillages devenus hostiles, un ciel qu'il n'avait jamais vu; trembler de découvrir à quel point le soleil criard écrasait les jeunes pousses de gazon. Un monde nouveau, concret et pourtant irréel, où de mornes fantômes, ne pouvant respirer qu'à travers leurs songes, dérivaient au hasard - tel ce personnage surnaturel, au visage de cendres, qui glissait vers lui parmi les troncs informes."

ISABELLE FLATEN
Adelphe

"Une semaine plus tard, Adelphe se désagrège. L’espace devient sourd, englouti dans l’effondrement des pierres, un monde fracassé, échoué sur la caillasse. Seule résonne la profondeur des ténèbres, un abîme vorace et sans rivage où l’errance est ravageuse. Lambeaux de l’âme, charpie de chair, partout des fragments de lui-même éparpillés. "

NICK FLYNN
Contes à rebours

"Je vais vous dire un secret : quiconque vit assez longtemps finit un jour par se perdre. Vous aussi, un jour, en vous réveillant, vous serez perdu. C'est la dure et simple réalité. Si ça ne vous est pas encore arrivé, estimez-vous heureux. Quand ça vous arrivera, un beau jour, en regardant alentour, de ne rien reconnaître, de vous trouver seul dans le noir, égaré, peut-être jugerez-vous plus facile d'accuser quelqu'un d'autre : un amant infidèle, un père absent, une enfance malheureuse. Ou alors de vous en prendre à la carte qu'on vous a donnée, tant de fois repliée, jamais mise à jour, aux caractères trop petits. Vous pouvez brandir un poing menaçant vers le ciel, accuser le destin, le karma, le sort, et à raison parfois. La plupart du temps, toutefois, si vous êtes honnête, vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous-même."


NICK FLYNN
Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie

"J'ai travaillé auprès des sans-abri de 1984 à 1990. En 1987, mon père s'est trouvé à la rue, est resté sans-abri près de cinq ans."

RODOLFO FOGWILL
Sous terre

Traduit de l'espagnol (Argentine) par Séverine Rosset
 

" Ça ne peut pas être ça, pensa-t-il. Pas jaune comme de la crème. Plus collante que la crème. Collante, pâteuse. Qui se colle aux vêtements, passe par le col des capotes, traverse les rangers, trempe les chaussettes. Et qu’on sent après, froide, entre les doigts.
— Présent ! dit une voix étouffée.
— Affirmatif ! répondit-il.
Pas « aaaffirmatif ! » mais « affirmatif ! ». C’est comme ça qu’ils devaient dire.
Alors la voix de dehors dit : « Du chaud ! Du chaud ! » et un jeune tout crotté roula bruyamment jusqu’à lui.
— Fait pas froid, dit le nouveau venu, mais faudrait consolider un peu les traverses…
— On fera ça plus tard, dit-il en percevant que l’autre s’installait en face de lui, boueux, trempé, cherchant son souffle.
Quique imaginait la neige blanche, légère, tombant rectiligne sur le sol et s’étalant ensuite pour le recouvrir d’un manteau immaculé. Mais cette neige-là, jaune, elle ne tombait pas : poussée horizontalement par le vent, elle filait, se collait partout, se traînait sur le sol entre les pâturages en avalant la poussière. Devenue marron, elle se changeait en boue. Et c’est ça qu’ils appelaient « neige » quand les accès étaient bloqués. Neige : de la boue lourde, compacte, froide et collante."

PHILIPPE FOREST
Le siècle des nuages

Ils descendaient depuis l'azur, laissant vers le bas grossir la forme de leur fuselage, traçant doucement leur trait au travers des nuages. Le vrombissement des quatre moteurs, juchés sur le sommet des ailes, enflait, vibrant dans le vide, résonnant jusqu'à terre. Leur ventre touchait enfin la surface de l'eau, projetant à droite et à gauche un panache puissant qui retombait en écume, bousculant tout avec des remous épais qui dérangeaient les barques amarrées et remontaient haut sur le bord des berges.
C'était l'été sans doute. Les vacances étaient déjà commencées. Il avait couché son vélo dans l'herbe toute brûlée par la chaleur du soleil. Peut-être attendait-il allongé sur le sol ou bien se tenait-il assis sur un ponton, les jambes se balançant au-dessus du courant très lent. A perte de vue, le grand ciel bleu du beau temps recouvrait le monde. Il regardait descendre vers lui le signe en forme de croix de la carlingue et des ailes. Lorsque l'avion heurtait l'eau, le choc le ralentissait net. Forant dans le fleuve une tranchée immatérielle, il creusait son sillage entre les rives, rebondissant formidablement d'avant en arrière, basculant sur l'un et puis l'autre de ses flancs, oscillant sur ses deux flotteurs jusqu'à ce qu'il s'arrête enfin : rond avec son ventre vaste comme celui d'une baleine, inexplicable parmi les péniches et les navires de plaisance, immobile comme un paquebot étrange mouillant au beau milieu des terres.

 

E.M. FORSTER
Avec vue sur l'Arno

"La beauté vive de ce samedi après-midi succédait à des pluies abondantes et l’on y sentait comme un esprit de jeunesse, encore que ce fût maintenant l’automne. La grâce triomphait partout ; les autos, en traversant Summer Street, ne soulevaient qu’un petit nuage de poussière et leur puanteur, dispersée par le vent, était trop tôt remplacée par l’odeur des bouleaux mouillés et des pins. Mr Beebe, s’abandonnant aux douceurs de l’existence, était accoudé à la grille de son presbytère. "

FREDERIC FORTE
Re-

entre deux pages la même
pluie à la place de rien

entre deux pages la même porte
absente pas de chien, un
écran dessus le thème inexistant
de re- son tiens italique posé
schème de qui s'avance
et combien

ce qui avance
à combien dans la marge, petits nems
empilés des amibiens tombant serrés
clinamen, pluie
à la place de rien


FREDERIC FORTE
L'expérience de la goutte de poix

"Dans l'expérience de la goutte de poix certaine quantité de poix disons de poix qui est le nom générique donné à une matière extrêmement visqueuse asphalte résine goudron bitume est d'abord chauffée puis versée dans un entonnoir dont on a pris soin d'obstruer le cou pour que trois années durant la poix refroidisse et se stabilise à température ambiante après quoi l'entonnoir est débouché placé sous une cloche de verre et l'on peut alors commencer à observer l'écoulement du liquide puisque contre toute apparence c'en est un voir photo cela se passe à l'Université du Queensland à Brisbane Australie en 1927 cela se passerait n'importe où ailleurs que ça reviendrait à peu près au même..."


FREDERIC FORTE
Discographie

 

horizontal
sans
accen
tua
tion
Là-bas le long de la rivière
considérons un instant
le goutte-à-goutte de l'évier
puis insensiblement
prenons
le contre-pied

 

JON FOSSE
Je est un autre
Septologie III-V

Traduction du néo-norvégien de Jean-Baptiste Coursaud

"...et je regarde le point que je regarde toujours, en direction de la mer, mon point de repère, là où la cime du pin au bas de la maison doit se retrouver au centre de la vitre du milieu dans la fenêtre, au centre du battant droit, puisque la fenêtre a deux battants, qui s’ouvrent tous les deux, qui sont chacun divisés en trois vitres, et c’est au centre du battant droit que la cime du pin doit se retrouver, je pense, et je regarde mon point de repère, je regarde les vagues, et ... "


JON FOSSE
L'autre nom
Septologie I-II
Traduction du néo-norvégien de Jean-Baptiste Coursaud

"... et il en a été toujours été ainsi, il y a toujours eu ces espèces d’éclairs qui se fixent et que je n’arrive jamais à me sortir de la tête, jamais, ils se fixent dans ma tête comme les images se fixent en moi, ils y restent et je ne peux plus me déprendre d’eux, et donc je suis obligé de les peindre, de les peindre pour les dé-peindre, oui, voilà comment ça se passe, voilà comment je suis, je pense, mais cette lumière, dans cet éclair, fait aussi partie de l’homme Åsleik, je pense, mais pourquoi il n’entre pas ? pourquoi il reste planté sur le seuil de la porte ? ou est-ce que le temps se serait arrêté pour moi ? je pense Entre donc dans la cuisine, je dis ..."


JON FOSSE
Les rêves d'Olav

"Dans le tournant il apercevra le fjord, se dit Olav, car il est Olav maintenant, pas Asle, et Alida n'est plus Alida, mais Âsta ; maintenant ils sont Âsta et Olav Vik, se dit Olav, et il se dit qu'aujourd'hui il va aller à Bjorgvin et faire ce qu'il a prévu de faire, et il s'est engagé dans le tournant et il voit le fjord miroiter, il ne le voit que maintenant, car aujourd'hui le fjord miroite, il arrive que le fjord miroite, et alors, quand il miroite, les montagnes s'y reflètent, et autour du reflet des montagnes le fjord est incroyablement bleu, et le miroir bleu du fjord rejoint imperceptiblement le blanc et le bleu du ciel, remarque Olav, et devant lui, assez loin devant lui à vrai dire, il voit un homme sur le chemin, mais qui cela peut-il être, connaît-il cet homme, il l'a sans doute croisé, sa façon de marcher, penché en avant, lui rappelle quelque chose, mais... "


JON FOSSE
Quelqu'un va venir
Le fils

"Tu savais bien que quelqu'un allait venir
Moi aussi en un sens je le savais
Mais je ne voulais pas le savoir
Et toi tu l'as toujours su."


DOMINIQUE FOURCADE
manque

"De toute grande oeuvre émane une profonde, puissante et toujours inattendue qualité de silence. De ce silence le monde sort repensé et vivifié - et nous-mêmes, dans notre relation au monde."

JONATHAN FRANZEN

La page Jonathan Franzen sur Lieux-dits

EMILY FRIDLUND
Une histoire de loups

" Le soleil décline, le puzzle s’assemble en hibou avant d’être désassemblé à nouveau, je demande à Paul de se lever. C’est l’heure d’y aller. C’est l’heure. Mais avant que nous nous levions, avant qu’il se mette à protester en geignant pour rester encore un peu, il se laisse aller contre ma poitrine et bâille. Et ma gorge se serre au point de se fermer. Parce que c’est étrange, vous comprenez ? C’est merveilleux, et triste aussi, combien il est bon parfois de sentir quelqu’un d’autre s’approprier votre corps."

PETE FROMM
Le lac de nulle part

Traduction de l'américain de Juliane Nivelt

" Il cale la hache sur l’extrémité de sa chaussure le temps d’avaler une autre gorgée. Puis il prend son élan, la main gauche au bout du manche, la main droite juste en dessous de la tête. Il abat la hache, sa main droite glisse vers le bas, le tranchant en acier se plante entre les nœuds. Les morceaux de pin tombent de part et d’autre du bloc. La tâche est agréable, de quoi apaiser son esprit tandis que le ciel, le monde disparaissent dans l’obscurité."


PETE FROMM
Indian Creek

Traduction de l'américain de Juliane Nivelt

"Après le départ des gardes, la tente que nous avions dressée me parut encore plus petite. Je me tenais devant elle, et un frisson que je croyais dû à une bourrasque me parcourut le cou. Allais-je vraiment vivre là-dedans désormais ? Serait-ce là mon foyer pour les sept mois à venir ? Seul, durant tout un hiver ? Je jetai un coup d’œil vers la rivière sinueuse, entre les parois sombres et accidentées du canyon qui découpaient déjà le soleil de ce milieu d’après-midi. Il n’y avait rien au-delà de ces murs de pierre et de verdure, si ce n’est les étendues sauvages de la Selway-Bitterroot, à l’infini. J’étais seul, au cœur même de la solitude. L’ombre envahit le canyon et je m’en éloignai rapidement pour rejoindre la lumière du soleil qui inondait la prairie. L’herbe m’arrivait aux genoux et bruissait sous mes pas, le vent faisait onduler les sapins immenses et les cèdres imposants qui dessinaient l’entrée de la clairière. Le doux murmure de la rivière embrassait ce tableau et produisait une quiétude insistante qui m’entourait comme un linceul. "

 

CARLOS FUENTES

La page Carlos Fuentes sur Lieux-dits


ROMAIN FUSTIER
Négatif photo de la muse

Quartier perdu

Eclats
de verre
sur l'asphalte
et dans les yeux
du chat
que nous avons
croisé
au pied
de l'escalier
Cartons
Ta piaule
d'étudiante
au fond
du couloir